Visite des infrastructures de transformation de matières fécales en compost organique pour l’agriculture.

Dans une excursion entreprise par l’Institut Sacré-Cœur du Cap-Haïtien sur le site de compostage de SOIL, en début du mois de mars 2022. L’organisme œuvre dans l’assainissement de l’environnement en Haïti a exposé son processus de transformation de matières fécales en engrais bio-organique utilisé dans la production agricole et le reboisement.
« La sagesse de la terre est une complicité totale entre l’homme et son environnement ! » (Pierre-Jakez Helias)
L’environnement est le premier bien de l’humanité. Le protéger, l’assainir, le rendre vivable se révèlent pour l’homme plus qu’un devoir : c’est un instinct de survie. Si la première loi de la nature est la conservation, la première chose à conserver, c’est la nature. Parce que la protection du milieu nous garantit un vécu nettement plus agréable. N’avons-nous pas l’instinct de survie en Haïti ? Une simple observation de l’environnement haïtien suffit pour répondre à cette question. La Perle des Antilles de la seconde moitié du 18e siècle, est aujourd’hui un désastre à tous les niveaux environnementaux : insalubrité, déboisement, urbanisme, aucun plan de reboisement et surtout aucune politique de contrôle de la couverture végétale du pays.

« On y trouve également l’empreinte d’aléas politiques liés aux différentes catastrophes socioéconomiques qu’a connues le pays des siècles durant », estime l’agronome Moloche Durosier, ancien cadre à la direction départementale du ministère de l’environnement au Plateau Central. Il accuse le désengagement et la faiblesse de l’état comme principaux facteurs responsables de l’état déplorable de l’environnement. « Ni les arbres fruitiers ni les arbres géants à l’instar du Mapou auxquels certaines personnes donnent une connotation mystique, ne sont épargnés.»

Aujourd’hui, Haïti ne compte, selon lui, que 1,4 % de couverture végétale. Malgré tout, environ 46,000 m3 de bois sont coupés chaque année pour des besoins multiples. De plus, l’abattage des arbres se fait de manière anarchique et irresponsable, non seulement en amont, mais aussi en aval des sources, des rivières. Le plus souvent, ce travail se fait, sans même tenir compte des zones à risque d’éboulement et de glissement de terrain.

La gestion de l’environnement en Haïti n’est donc pas à corriger, mais à refaire ! Des organisations, prennent des initiatives en vue de non seulement faire grimper la pitoyable couverture végétale, mais aussi et surtout pour un renouveau dans la production agricole. À l’instar de SOIL, ONG qui réalise, à travers son service de KONPÒS LAKAY, le traitement biologique de déchets organiques, plus précisément de matières fécales humaines, dans un long processus de fermentation débouchant sur l’obtention d’un compost : de l’engrais bio, 100 % organique !
Fondée au Cap-Haïtien en 2006 par les Dr. Sasha Kramer et Sarah Brownell, Sustainable Organic Integrated Livelihoods (SOIL) est une organisation œuvrant pour l’amélioration de la crise sanitaire actuelle. Dans son programme d’assainissement écologique, elle offre entre autres un service d’abonnement de toilettes privées et publiques en vue de collecter les déchets et de les transformer en ressources naturelles. Sa vision est une Haïti saine, optimisant la récupération des ressources pour garantir le cycle sanitaire.

D’où proviennent ces matières fécales ? Des humains, naturellement, mais ce qu’il faut souligner d’un trait très fin, c’est le travail absolument remarquable mais surtout écologique d’un autre service de SOIL faisant écho depuis quelque temps dans la ville : EKO LAKAY. Ce service offre aux particuliers des toilettes écologiques, plutôt artisanales, nécessitant un minimum de logistique et d’espace, à un prix abordable, avec un effet très particulier : c’est sans odeur ! C’est une technologie de toilettes sèches, sécuritaire, économique et surtout moderne ! Avec EKO LAKAY, fini les « fòs pèdi », fini les « twalèt la plen », fini les « kaka’w santi » ! L’approvisionnement de SOIL en cette matière première et de grande qualité provient directement des humains clients d’EKO LAKAY, ce chiffre s’élevant à plus de 6,500 personnes. D’autant plus que le service vous accompagne tout au long du processus. Lors des événements de grande ampleur, SOIL est aussi présente sous la forme d’EKO MOBIL, garantissant les besoins physiologiques dans le même environnement sanitaire priorisé par l’ONG.

Dans le site de compostage de SOIL à Limonade (à Mouchinette), cet approvisionnement permet à l’entreprise d’avoir 45 réservoirs constamment remplis avec capacité de plus de 22.000 seaux (bokit) de matières fécales. Cet espace calme, particulièrement verdoyant et d’une hygiène irréprochable est doté d’un système structuré depuis la réception des déchets jusqu’à la production de l’engrais dans un processus bien organisé : réception, fermentation pendant 2 ½ mois, décaissement, séchage puis passage au labo pour s’assurer que le produit fini ne détient pas d’agents pathogènes en accord avec les dispositions de l’OMS. Ce produit fini, un engrais organique, constitue un poto mitan dans la production agricole, ses caractéristiques biologiques et écologiques le favorisent sur le marché.
L’année dernière, plus de 510 tonnes de déchets ont été transformé en compost de qualité, favorisant la croissance des plantes et la résilience au changement climatique. Ce compost, testé en laboratoire, produit à travers un processus de chaleur naturelle, garantit aux cultures plus de rendement et donc plus de profit, et aux jardins de fleurs de fleurir en toute beauté. Entre autres, la terre arable est réparée – prévenant donc l’érosion – et renferme plus d’éléments nutritifs pour la production de denrées de meilleure qualité. Et d’ailleurs, le cycle est intéressant si l’on considère que cet engrais fait à base de matières fécales va nous nourrir et nous pousser à déféquer pour encore produire ce compost.

Ce travail d’assainissement pour la responsabilité écologique que fait SOIL depuis 2006 en faisant le traitement et la transformation de kaka en assure sa finalité dans la production d’un compost qui resservira l’environnement. Eh oui, kaka itil, kaka kapab ! Tel est, le slogan de SOIL-KONPÒS LAKAY dans sa mission pour un environnement plus sain en Haïti. Mais son travail est jusque-là méconnu du grand public capois. En revanche, des institutions soucieuses de l’environnement se donnant pour mission d’inculquer à leurs apprenants une gamme de valeurs de respect, de soucis de protection et de conservation du milieu applaudissent le travail de SOIL.
Est-ce pourquoi, l’Institut Sacré-Cœur du Cap-Haïtien (ISCCH) sis aux locaux des rues 14 M et 14 D, sous la rigide direction de Mme Urlande Dorvil ETIENNE, a organisé ce mercredi 9 mars 2022 une sortie socio-éducative sur le site de compostage de SOIL avec une délégation de 200 élèves de 7e, 8e et 9e AF. Pour paraphraser la Directrice Générale de l’ISCCH, cette sortie est incluse dans un programme visant à ouvrir l’esprit de ses élèves sur les multiples possibilités d’avenir, comme quoi leurs esprits sont fermés sur les mauvaises tendances sociales comme le fameux rabòday. Les élèves, au début réticents, mais par la suite enthousiasmés, ont visité le site sous la direction d’un agent superviseur – ancien élève de l’ISCCH – et ont appris à travers le processus l’importance des déchets dans la pérennisation de l’environnement quand ceux-ci sont recyclés.

Pour Urlande Etienne, SOIL représente un projet d’avenir pour un environnement plus sain en Haïti. Elle se dit ouvertement satisfaite de la visite non seulement pour l’accueil chaleureux qu’on leur a réservé, mais aussi pour le dévouement et la disponibilité des techniciens garantissant la réussite de la journée, et surtout parce qu’elle voit briller dans les yeux de ses élèves une lueur de satisfaction. « Se pa sèlman soti amize, danse, men fòk soti a ka aprann timoun yo yon bagay ! » Voilà ce que la directrice appelle une sortie socio-éducative.

De leur côté, les techniciens partagent ce sentiment de joie : « Sa bay vizibilite sou travay ke nap fè a. Sa motive nou, ankouraje nou kontinye bay sosyete a sèvis paske malgre enkonvenyan, nou jwenn anpil pozitivite nan travay la. » Avec acharnement, SOIL travaille pour pallier le désengagement et l’irresponsabilité de l’Etat dans les secteurs vitaux de l’environnement et de l’agriculture. L’ONG travaille à créer un modèle d’entreprise sociale révolutionnaire capable de fournir un accès à un assainissement sûr et digne, à des ressources pour les sols gravement appauvris d’Haïti et surtout des opportunités économiques dans les milieux démunis. Sa transformation de cette matière première nous démontre sans ambiguïté que vouloir, c’est pouvoir et que « menm ak kaka nou ka fè yon bagay serye ! »

© CHARLES D. R. Markly












