PHILOSOPHES OU FINISSANTS ; ENTRE GOUYAD ET RÉFLEXIONS

La période du 26 au 28 janvier 2022 est celle consacrée à la fête des philosophes au Cap-Haïtien. Les écoles en profitent pour célébrer des messes et organiser des conférences. Les élèves assurent eux-mêmes le suivi culturel. Certaines écoles s’y font et d’autres pas. SAKAPFET OKAP fait le point.

Terminale de l’École du Sacré Coeur dirigée par les Filles de Marie
Lycee Phillpe Guerrier

L’hyperbole est ce qu’on maîtrise le mieux en Haïti. Nous avons la fâcheuse manie d’exagérer la moindre chose, ou encore de décontextualiser chaque concept. Chaque mot a un autre sens comme si les mots n’avaient pas de sens propre. On utilise les noms les plus professionnels pour dénommer les simples gens et le pire, c’est qu’on trouve ça normal. Dans un pays où la classe de Terminale est dénommée « Philo », nous ne sommes pas loin de comprendre l’étiquette de « Filozòf » accrochée au cou des élèves de Terminale. Alors la fête des philosophes, autant se convaincre que c’est leur fête. Mais naturellement, ‘’apre dans tanbou lou’’, après la fête, après la Philo, on se demande bien ce que deviennent ces philosophes.

College Notre Dame du Perpetuel Secours

Chaque 28 du mois de janvier, l’Église Catholique ainsi que les écoles adhérant à l’idéologie catholique honorent Saint-Thomas d’Aquin, patron des philosophes. C’est d’ailleurs le jour de naissance du Philosophe Angélique, d’où l’origine de la fête adoptée par l’ordre des Dominicains et amplifiée par l’Eglise Catholique. Cet événement revêt d’ailleurs un aspect beaucoup plus symbolique que religieux. La fête des philosophes en tant que telle est plus un moment, un espace de recueillement, de familiarisation, de réflexion et surtout d’orientation professionnelle. Parce qu’être en Terminale, c’est terminer ses études classiques, certes, mais c’est également entamer un nouveau train de vie. La classe de Terminale est une phase transitoire et la fête des philosophes – n’ayant rien de philosophique – est censé aider les finissants à combattre le déni de cette réalité. Mais bien entendu, chaque école, chaque groupe de finissants ont une conception différente.

Le Collège Notre-Dame du Perpétuel Secours a embrassé cette réalité avec adresse. Dans les hauteurs de la rue 11 P, le CNDPS, l’une des meilleures écoles secondaires de la ville, a fait sensation pour cet événement. Ténor de la ville, il fait preuve d’un leadership indélébile en réunissant dans son auditorium une panoplie d’élèves de Terminale de nombreuses écoles congréganistes de la ville autour d’une conférence. « Pour une nouvelle opinion publique en Haïti ! Construire son avenir : comment faire naître la vie du chaos ? ». Une délégation du Collège Saint-François Xavier, du Collège Saint-Joseph du Cap-Haïtien, du Collège Regina Assumpta, du Collège Notre Dame de Protection, de l’École du Sacré-Cœur dirigée par les Filles de Marie, ont, entre autres, assisté à cette conférence sous la voix forte et implacable de Joseph Harold PIERRE, philosophe, économiste et politologue. Dans un auditorium rempli comme un œuf, le conférencier a su guider les Filozòf sur les possibilités de carrière en fonctions des ressources disponibles. Dans une ambiance optimale, nombreux élèves ont brillé par leur prise de parole sur la thématique. Le CNDPS a donc saisi ce moment dans son pur contexte de « La Philo, et après ? »; sans pourtant omettre l’aspect culturel.

Jean Junot MICHEL, professeur d’histpoire

L’École du Sacré Cœur dirigée par les Filles de Marie logée aux rues 2 & K, a eu, lui, une célébration unique et particulière. Elles ont littéralement organisé un gala, toute la promotion vêtue d’orange et de noir, dégageant une élégante énergie, maquillées et coiffées du haut de leur talon pour montrer que les Filles De Marie ne brillent pas que par l’intelligentsia, mais aussi par leur beauté. Sur la cour où régnait une atmosphère calme, sous le regard accrocheur du Sacré Cœur de Jésus, sous les caresses d’une douce brise de vent et les regards envieux des plus petites, elles étaient là, assises dans une attirante uniformité pour écouter avec une attention soutenue le vibrant et enrichissant exposé du professeur Jean Junot MICHEL sur « Les idées philosophiques d’Anténor Firmin face à la jeunesse haïtienne. ». C’était pour leur montrer que depuis la nuit des temps, Haïti détient les ressources intellectuelles, capables de la représenter valablement et de combattre l’hégémonie de la médiocrité et de la discrimination, et qu’elles, jeunesse et Filozòf, sont une part considérable de cette ressource. Mais avant ça, un morceau musical nous a bercé et porté aux abords de l’extase avec une mélodie chatouillant les oreilles et éveillant tous nos sens. L’overdose n’aurait pas été Impossible.

Les filozòf de l’École du Sacré Cœur dirigée par les Filles de Marie

Autour d’un repas copieux, les filles partagèrent un moment de joie et d’harmonie empreint d’une douce nostalgie. D’ailleurs cette fête, avant tout religieuse, perçue comme « un signe d’espoir, une lumière au bout du tunnel, dans un pays sans président et une jeunesse sans repère. Mais on a malgré tout brillé, non seulement par notre façon d’organiser cet évènement, mais aussi de le vivre. Cette fête de philosophes montre indubitablement qu’il existe un espoir de rédemption pour le peuple haïtien à travers les jeunes » (DORCELUS Marie-Francise, élève de la Terminale OCTAVIA GAËLLE) est un moment de mise à nu pour la LEGENDARY PROMO. C’était l’occasion pour elles de se sentir les aînées, de tenir les rênes, ce n’est que maintenant qu’elles se sentent vraiment détentrices du flambeau de l’école.

La promotion OCTAVIA GAELLE, ou LEGENDARY PROMO, est une nouvelle gamme de « Filozòf » ayant envisagé leur fête comme un gala amalgamé d’une conférence. Ça semble peut-être peu et banal, mais néanmoins ça en dit beaucoup sur leur conception de ce moment exclusivement consacré à la philo. D’autres établissements en ont fait autant, mais l’ampleur n’a toutefois pas le même niveau. À l’instar du Collège Modèle et du Lycée National Philippe Guerrier qui ont, eux aussi, eut des conférences, dîners et sketch dance, s’étant vêtu autrement pour l’occasion. Sous la voix de Katie-Flore FILS-AIME ETIENNE, la Terminale du Collège Modèle a soigneusement appris comment faire le tri entre les métiers existants en tenant compte de leurs aptitudes. 

Katie-Flore Fils-Aimé Etienne

C’était plus un débat qu’un exposé, car les élèves apprenaient de la conférencière et vice-versa. Et surtout, ils ont appris à faire le choix d’un métier qui leur sera non seulement compatible, mais aussi rentable et surtout qui leur ouvrira des horizons à la fois nationaux et internationaux. Suite à cela, la cour de l’école était dans une ambiance festive, car justement, les aînées ont offert un spectacle sans précédent : une chorégraphie ! Il est courant de voir des shows de dance pour cette occasion, mais il n’est pas commun d’en voir une qui puisse aussi épater. Discipline et maîtrise de la chorégraphie étaient au rendez-vous. Toute cette programmation fut soldée par une sortie à Gwòg Bar. Une journée réussie où ils ont appris, ont gouye, et célébré un moment unique. Mais à la base, l’école protestante (méthodiste), sont-elles légitimes pour honorer Saint-Thomas d’Aquin ?

Lycée Phillipe Guerrier

Le Lycée National Philippe Guerrier a, quant à lui, organisé une conférence autour du thème : « Une jeunesse florissante pour une Haïti prospère ! ». Précédée d’une messe et suivie d’une partie culturelle insoutenable avec défilé de métiers où chaque élève présentait le métier qu’il voudrait bien apprendre, prestations de chants et déclamations de poèmes, on a eu l’occasion de revivre l’esprit lycéen qui ne cesse de perdurer. Toujours dans l’optique de responsabiliser les finissants face à la situation de leur pays, l’emblématique lycée n’a pas adopté l’attitude des autres écoles congréganistes de la ville qui n’ont rien fait pour marquer l’occasion si ce n’est qu’échanger l’orange contre le blanc pour déhancher à travers les rues, ou rester dans la passivité comme la grande famille de Saint-Joseph. Bien entendu, il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu, chose que ces écoles n’ont pas vraiment au quotidien, alors on comprend leur comportement inadéquat en ce jour et on ne juge surtout pas ceux qui n’ont même pas pris la peine d’organiser une simple journée de couleurs, pas tout à fait comme dans le film, mais l’intention aurait valu l’action. Après tout, on fait ce qu’on peut ! Néanmoins, ces 4 écoles reçoivent l’honneur et le mérite de SAKAPFET OKAP pour avoir mis tout leur dynamisme dans la célébration de cette journée.

Ternminale Collège Modèle



Peu d’écoles saisissent réellement l’essence de ce moment et la majorité le conçoit comme un simple jour pour se vêtir autrement, se prendre en photo et s’amuser. « Au lieu d’être un espace de fête, elle doit être un lieu de formation des penseurs critiques et de l’émancipation des gens. Arrêtons de célébrer une fête des philosophes que les bacheliers n’arrivent même pas à comprendre ! Enseignons la philosophie dans nos écoles, et recommandons de préférence à nos écoliers la lecture des philosophes ! » (SAINTYL Shelton, étudiant en philosophie et en droit à l’Université d’Etat d’Haïti). De toutes les Terminales de la ville, on a une grande variété de fêtards, de danseuses, d’insouciants, mais peu de penseurs. Tandis que les uns s’évertuaient à se pomponner dans les rues ou à délivrer des shows, les autres ont préféré se réunir, ce vendredi 28 janvier 2022, dans la limpide propreté de leur espace, sous un ciel d’azur pour s’instruire et profiter au mieux de ce moment – qui sera peut-être le dernier – pour raffermir le lien qui les unit depuis 7 années. Les uns ont rendez-vous avec l’avenir, les autres, qui sait ?


© CHARLES D. R. Markly

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