Les monuments de Vertières entre passé, présent et futur.

Depuis longtemps, nous oublions la part réelle de notre histoire et notre patrimoine. Miné par la misère, l’haïtien est parvenu, gouvernant comme gouverné à tout mépriser, à tout oublier. Ce 18 novembre 2021, c’est une part de notre histoire qui se perd, qui s’abandonne par une perte de conscience. Depuis 2018, les dates symboliques étaient devenues des occasions de violences gratuites désormais, ce sont des dates pour le silence.
Le 17 Novembre 1803, Dessalines se révèle tête pensante, inquiet et pensif, mais la guerre semblait déjà gagnée. Le gros des dernières forces de l’armée expéditionnaire refusait de céder le Nord, car se retrouvant dans ses derniers retranchements, la bête était prête à se débattre dans une lutte à mort et sans merci. Les deux camps préparaient leurs points d’appui, fortifiaient les places, roulaient les canons et les batteries. L’armée indigène pieds nus pour bon nombre de grenadiers remontaient Limbé et le Haut-du-Cap, cette bataille sera fatale, ils le savent, comme le disent les petites voix dans leurs têtes, mais elle sera surtout fatale, car elle décidera entre cette liberté tant rêvée et la continuité de la chose abhorrante qu’est l’esclavage pour le nègre.

La date du 18 Novembre 1803 est la date de la grande victoire d’une armée en haillons, mal armée, ayant pour leaders des affranchis et des esclaves rebelles face aux stratèges de l’école militaire de Saint-Cyr, les vétérans du Rhin, les fiers hommes de Bonaparte qui ont connu de grandes campagnes en Europe. Pour garder la mémoire, en 1953 le président Paul Eugène Magloire successeur de Dumarsais Estimé un monument a été érigé à la sortie de la ville sur la route nationale numéro 1, sur un petit amoncellement naturel crée par orogenèse (désormais menace par les érosions) ont été mis quatre héros et deux héroïnes. Depuis la région, était devenu un lieu d’attraction historique, touristique et fort d’un symbolisme politique. Chaque 18 Novembre habituellement les discours se prononçaient par les plus hautes autorités de l’État, des défilés, des fanfares et des parades policières et militaires honoraient ce jour-J de l’histoire d’Haïti après le Te-Deum traditionnel à la Cathédrale Notre-Dame du Cap-Haitien.
Notre dernière avancée sur le mot Vertières fut la victoire de Danny Laferrière en Février 2019. Notre cher romancier, admis à l’Académie française a choisi pour combat d’amener un peu plus autour de l’histoire et des valeurs du terroir dans la Francophonie et les lettres internationales. L’épée de Danny Laferrière au 21e siècle a tranché pour faire entrer Vertières dans le dictionnaire français, plus directement le dictionnaire de l’Académie Française. Mais malheureusement pendant ce combat d’outre-mer pour redorer le blason haïtien, sur place, au Cap-Haitien les monuments perdent en valeur, car depuis quelque temps, un culte s’opère autour de certaines habitudes de riverains qui semblent se foutre royalement de l’histoire, de la patrie et du lieu.

Les aires à l’arrière des monuments de Vertières ont de nombreuses fois servi comme lieux d’ébats sexuels dans les heures tardives, la petite histoire parle de vols à main armée, de viols, de duels entre groupes, et même de rituels magiques. Les ravins sur les côtés n’ont pas cessé de jouer le rôle de décharges de déchets solides et liquides qui lors de pluies envahissent la route nationale. Un bruyant atelier de soudure à côté, déborde quelques fois, le trottoir, le symbole de l’histoire fait quelques symboles aussi lors de protestations, Vertières se révèle souvent comme la région qui bascule le plus profondément dans la violence du côté ouest de la ville.
En Mai 2011, comme le reporte Alter Presse, des individus non identifiés ont scié et emporté plusieurs objets dont deux sabres et la bride du cheval de la représentation de François Capois. Ce vol aurait comme simple objectif de procéder à une vente de ferraille, les matériaux volés sont donc considérés comme de simples morceaux de métal n’ayant aucune valeur historique ou symbolique aux yeux des voleurs. Contrairement aux nombreux vols de boulets recensés à cette époque à la Citadelle Laferrière et aux différents forts du département où l’objectif est de créer un décor personnel chez soi ou dans son entreprise.

Ce 18 Novembre 2021 se révèle particulièrement vide, désuet, dénudé. La présence des dernières grandes autorités de l’État ou d’un discours sur la place de Vertières n’a ni été annoncée et n’est non plus attendue. Peut-être que seul le symbole de la rencontre au Te-Deum des autorités départementales et des figures religieuses sera le maximum de choses tout en étant le minimum du menu. Pour la matinée seuls les lycéens ont suivi aléatoirement une fanfare bicéphale (lycée Nationale de Sainte-Philomène et le Lycée Toussaint Louverture) battant l’hymne à la jeunesse pour donner un dernier coup de mémoire des célébrations des années passées, quelques écoles se cachent sous les couleurs pour dispenser les cours.

Quelques conférences tentent d’amener une pincée de réflexion à cette journée, diverses activités à la Faculté de Droit et cette fois étonnement même en périphérie comme à Cite-du-Peuple ou des étudiants ont pensé à faire une causerie au Collège La Rénovation et une formation sur la « Gestion et Élaboration de Projets » à l’Université Libre d’Haïti. Et Vertières dans tout cela, en réalité, il faut bien se demander qui y a pensé ? L’histoire semble en grande plongée dans la première république noire, la misère et les troubles politiques, les préoccupations du ventre et du bas-ventre effacent dans la mémoire de nos cadres dirigeants toute idée de planifier un agenda autour des dates, des projets et des nécessités du pays. C’est ainsi que tout disparaît, c’est ainsi que le 18 Novembre 2021, l’histoire, les monuments, la patrie deviennent hétéroclites. Vertières est mort et ces sont les haïtiens qui l’ont malheureusement et volontairement enterré.

Alandy BLAISE


























