Pris au dépourvu la bête se débat et mord sa propre queue !

Benoît Joachim semblait déjà tout dire sur la nation haïtienne dans son livre : « Les Racines du Sous-développement en Haïti » sacré prix Henri Deschamps de 1979. Tant de décennies nous séparent de cette bible, plutôt cette apocalypse de l’administration publique haïtienne toujours empreinte de négligence, d’inconstance, d’inconscience et de corruption. Chaque jour amène son drame, son petit malheur si prévisible quand personne ne comprend la valeur de la prévoyance tout en tenant le gouvernail d’une classe d’hommes et de femmes qui battus par les déceptions et les désillusions ne peuvent ni se tenir, ni se retenir, alors tout s’effondre ; les hommes et les choses.

Quand le mois de septembre prit congé par l’incendie d’une pompe à essence à la rue 9 A au Cap-Haïtien , le mois d’octobre faisait ses débuts par la fermeture du Lycée des Jeunes Filles de la rue 17 D. Abrité dans des locaux privés, le propriétaire a décidé d’opérer la fermeture en plein début de l’année scolaire pour marquer les esprits et saboter l’institution, de plein droit semble-t-il, car les autorités accumulent les années sans verser l’allocation due et nous parlons de 3 années. Encore une fois, un Ministère se retrouve endetté et ne respecte pas ses engagements, un jeu qui humilie des centaines d’élèves, des professeurs et des parents. Désormais, ce sont des portes closes, un silence particulièrement étrange qui au niveau de la rue 17 D révèle malgré les insignes encore sur les murs qu’elles ne sont plus là. Pauvres filles !

Une leçon leur a été prise ces jours du mois d’octobre. Elles auront à philosopher sans même être en classe de Terminale sur la noirceur de la dure réalité de la vie haïtienne. Quand les autorités nous oublient à force de se battre dans des schémas égoïstes. Qui sait ce que cela leur inspirera, la honte, le désespoir ou la rage et la volonté de marquer la différence. « Après le pain de l’instruction », en cette année 2021, avec les crises qui jonglent entre elles Haïti n’offre ni l’un, ni l’autre. Désormais, elles saisissent la dure réalité haïtienne qui dit que chaque personne vit à la mesure de ses moyens : « Chaque bourrique braie dans son pâturage ». Désormais, la bourrique ferait mieux de ne plus braire sinon d’autres bêtes envahiront son enclos croyant pouvoir y trouver du fourrage. Certaines ont déversé des larmes quand les professeurs ont préféré se lancer des élans de colère. Elles ont sans doute compris qu’en Haïti, être pauvre est un crime, un châtiment. Elles ont sans doute compris qu’elles doivent se battre pour mériter le minimum, car ici, les droits marchent de paire avec les moyens. Tout ceci pas loin de la Cathédrale de Notre Dame, pas loin, c’est la Délégation et l’Hôtel de Ville. Tout cela au cœur névralgique de la ville du Cap-Haïtien, c’est là où le bât blesse !
Après plusieurs jours à crier leur honte, leur amertume et leur désespoir sur la Place d’Armes le Ministère de L’Éducation Nationale jouant sur leur qualité d’élève d’école publique, décida de les répartir selon les autres lycées de la ville qui connaissent déjà un surnombre comparable aux cellules de prisons haïtiennes. Mécontents, quelques instigateurs ont tenté une manifestation le 18 octobre, le lendemain des 215 ans de la mort de Jean-Jacques Dessalines au niveau du Boulevard du Cap-Haitien , ce fut un échec.

Découvrant l’inefficacité de la décision prise de repartir les élèves du Lycée des Jeunes Filles, les têtes se sont mises à penser à trouver une solution plus durable et plus digne. Quelques jours plus tard, la grande nouvelle fut annoncée aux médias, le Lycée des Jeunes Filles se retrouvera dorénavant à la rue 21 P, dans les locaux du ministère de la Culture et de la Communication et de l’ISPAN qui trottent depuis des années à s’y établir de manière concrète. Pourtant, rapidement, des problèmes se posent à la faisabilité et à la viabilité d’une telle décision.
Le lieu choisi, à tour de rôle, a servi pour des besoins différents à des périodes différentes. D’abord, prison coloniale, les murs de briques nous rappellent cette architecture coloniale qui authentifie l’ancienneté et la valeur de beaucoup d’immeubles du centre-ville du Cap-Haitien. Sombre lieu durant la période des Duvalier, le camp d’exécution juste à côté est devenu aujourd’hui le Gymnasium du Champ-de-Mars. Durant la mission des casques bleus en Haïti, les locaux ont pris la forme d’une base militaire, barbelés par dessus les murs et quelques fois il était possible d’apercevoir en interstices les chars d’assauts à travers la barrière de fer.

Après le départ de la MINUSTHA , les locaux furent attribués au Ministère de la Culture et l’ISPAN qui se devaient de faire la sauvegarde d’un patrimoine historique hors-norme de l’histoire d’Haïti. Très peu aménagés , une bonne moitié des locaux ont été laissés aux caprices de la nature. À l’image d’une vieille masure longeant la route vers Labadie, dans l’abandon, mais dans la paix, quelques fois des activités à caractère culturel ou éducatifs s’y faisaient sans grands bruits. Le ministère de la Culture et l’ISPAN à petits souffles, timides, demeuraient dans les rêves de faire leurs rénovations.

Pourtant aujourd’hui, c’est le Lycée des Jeunes Filles qui en toute hâte va se retrouver dans les murs de briques, sous quelques tôles posées dans une course contre la montre. Toutes les classes ne pourront trouver place, la solution des multiples vacations ou des cours dispensés sous les tentes dans la grande allée se dessine dans les esprits. Opération faites de la place, coincez-vous un peu ! Le Lycée de Jeunes Filles devra sans doute cohabiter à la française avec l’ISPAN et l’embranchement du Ministère de la Culture. Tout simplement inimaginable ! Dans leurs têtes, il fallait quelque part où mettre les demoiselles, mais pas une voix pour dire oui, il faut quelque part, mais pas n’importe où et peut-être, ils auraient changé de cap, ils auraient révisé leurs cahiers pour commettre un acte plus propre. Mais encore une fois, le grand silence des lèvres consent un mauvais choix et fait penser qu’il était parfait.











Alandy BLAISE