CAP-HAITIEN, ENTRE FOIRE ET CARNAVAL ON S’Y PERD !

Perpétuel recommencement d’une histoire qui s’altère autour de la culture et l’agriculture en Haïti, sommes-nous arrivés à un niveau de l’hypocrisie d’un jour et à la perte du sens des origines ?

Du 29 avril au 2 mai 2021 la ville du Cap-Haïtien et ses environs se sont retrouvés dans l’ivresse des foires et activités similaires, ainsi que la saturation de la région par un tourisme politique. L’effervescence de foire en tous genres, les propagandes et/ou promotions pour le nouveau barrage et la réforme constitutionnelle, les multiples fêtes de rues ont constitué un cocktail sirupeux pour la cité Christophienne, rappelant les balafres non lointaines d’un carnaval national.

Est-ce par pure spontanéité que naissent les meilleurs gestes tout comme les fiascos les plus graves ? Le Premier Mai est ce jour clé, consacré à l’agriculture et au travail. Il est difficile de penser travail dans un pays où le chômage bat son plein, il est aussi difficile de penser agriculture quand l’importation de produits manufacturés aux USA et en Chine ne laissent aucune place à une production nationale morte depuis plus de deux décennies.

Est-ce par pur symbolisme qu’en ces jours qui précèdent et qui suivent le premier mai que les foires sont organisées ? L’impression d’une manifestation dénaturée où le plaisir charnel occupe plus les esprits que la pensée réelle d’une révolution vers le terroir et ses productions tant agricoles qu’artisanales. Ne sommes nous pas en train de laisser mourir la production nationale pour vendre au prix fort les produits de nos terres au moment des foires ?

Le Cap-Haitien a bénéficié sans annonces suffisantes de la faveur du gouvernement de la foire traditionnelle nationale pour la première fois, une première fois qui a tellement d’impact sur ce qui serait peut-être encore la deuxième ville du pays. Tant d’affiches de campagnes parallèles au niveau du Boulevard empêchent le geste de demeurer innocent, slogans, dires sur le barrage Marion, dires sur le projet de nouvelle constitution. La politique ne serait-elle pas en train de détruire le sens de toutes les choses ? Les gens qui ont profité de l’occasion pour s’amuser ne voulaient –elles pas simplement rejeter leur mal intérieur sans savoir sur quelle piste ils dansaient et dans quels verres ils buvaient ?

Haïti est un pays essentiellement agricole, vous y croyez encore ? Vous dans les villes, vous qui préférez pratiquer tous les métiers du complexe citadin, vous qui préférez-vous pontifier de philosophe, d’universitaire, d’employé de bureau, vous qui préférez fuir vers les terres étrangères peu importe le risque, vous y croyez ? Haïti est un pays essentiellement politisé, où la politique malsaine gangrène tout, déforme tout et la misère générale enlève tout espoir. En Haïti il y a un sauve qui peut général, quand vous nous voyez danser, fêter, jouer des hanches ou rire sachez que c’est pour éviter le suicide.

Qui a jamais vu le Cap-Haitien aussi réveillé de lui-même dans une fin d’avril jusqu’au 3 Mai ? Toutes les foires ont semblé si importantes, impossible de savoir par quelle mobilisation tant de personnes, tant de femmes ont préparées leurs tenues multicolores, fendues, leurs longues robes aux grandes lignes, aux sombres carreaux et autres éclatantes. Entre chapeaux de pailles, les défilés de paysannes, les paniers de mangues disproportionnées, les poupées aux joues roses cachées dans de longues robes colorées, les bouteilles de rhum Barbancourt faites de bois, d’autres d’argile. Une motivation générale avait gagné toute la ville. Aucune activité, aucun moment n’a gagné autant de personnes après le Carnaval National de 2013.

la masse des petites et moyennes entreprises impliquées dans le développement ont profité pour exposer leur digne savoir-faire ;PouBel Ayiti, Nous 2 Chocola, Ekolakay , Elle Beauty Center ,Choco Chic et tant d’autres. Café Rebo dans sa plus grande fierté distribua son café et son chocolat dans une gratuite qui fit bonheur. La multitude des tentes, des groupes à exposer ont créé un merveilleux multicolore de senteurs, de saveurs et de formes. Le merveilleux haïtien existe : « Je demande un arc-en-ciel pour l’occident nègre, pour l’africain de l’occident, pour l’haïtien ». Les petites entreprises et les participants ont fait toute la beauté de la foire nationale de par l’intérêt et l’amour qu’ils y ont consacré et aveugles a qui, au pourquoi et au comment, ils ont comme les capois porté leurs cœurs, leurs valeurs, leurs présences, leurs dividendes pour nourrir rien de plus qu’un grand moment de vivre-ensemble. Et cette fois encore le Boulevard fait la beauté et le sens de tout, sous le clair soleil comme une pomme frite, rien ne vaut mieux ou plus que ce bord de mer digne de rivaliser tous les grands lieux du pays.

Pour une fois la pêche en haute mer fut au menu, sur des bateaux a voiles des particuliers sont partis sur les vagues pour rapporter du thon. Plusieurs tracteurs ont exposé pour démontrer les grandes machines de cette dite mécanisation de l’agriculture attendue depuis La Caravane du Changement. Jovenel Moise était là, accompagné de toute la suite digne d’un président, après avoir livré des moteurs à énergie au niveau de la centrale de Sainte-Philomène, il est apparu au milieu des défilés entre des hommes déguisés dans le symbolisme paysan : armés de houes, levées du ciel vers la terre, le geste des laboureurs, le geste du combat pour l’indépendance nourricière. Mais il semble qu’il n’en restera que le geste ! il restera aussi les diverses subdivisions du cortège éparpillées un peu partout dans la ville, à courir par ci, par-là.

Réveil Environnemental et L’AFASDA eurent à organiser une course avec les marchandes, paniers posés sur leurs têtes le long du Boulevard, de la rue 5 a la rue 29 avec pour interdiction de tenir ou de redresser leurs paniers. Ainsi donc prouver leur habilite dans un métier qui incombe leur vie. Dans leurs robes de grands carreaux, elles ont marché, entre geste automate, fière allure, les regards de cette classe « Madan Sara » toute la force en nombre de notre économie dite informelle mais qui tient encore et qui tiendra peut-être quelques décennies. Les embouteillages furent nombreux et malheureusement cela fut surement dû aux travaux d’assainissements retardataires qui eurent lieux les jours qui comptaient pour tous. Est-ce par un vrai retard des autorités ou par un amateurisme malsain de la municipalité ? Si diriger c’est prévoir, ici-bas diriger c’est voir !

La foire organisée par le MARNDR et le MAST au niveau du Boulevard, entre défilés, décors géants, animation Dj se désignait comme porteuse des valeurs et des spécialités nationales issus de chaque coin du pays et pourtant tant de choses ont manqué au menu : « dous makòs, bonbon sirop, konparèt, tonmtonm… » N’ont –ils pas confondu le pays au département du Nord ou n’ont-ils tout simplement pas tout préparé à cause du simple fait que tout était improvisé et précipité ?

L’institut Sacré –Cœur du Cap-Haitien a frappé un grand coup de couleurs, de beauté et de senteurs a Grand Lakou (espace prolongé de la rue 24 Boulevard) avec ‘’VALORISONS LES PETITS METIERS’’ une foire annuelle que l’école organise. Les filles ont joué de leurs charmes, la vraie scène de la consécration de l’agriculture et des petits métiers. Un accent mis sur la vie rurale avec les coumbites, les méthodes pour mettre au point le manioc, de la poudre de café à sa senteur la plus forte et la plus profonde. Tout était si merveilleux jusqu’à ce que le « rabòday » mette fin à tout ; thèmes, idéologies, les valeurs rares. Tout s’éteint, tout s’écroule comme un château de cartes.

A la Plaine-Du-Nord, route de Grisond Garde, Ciels Ozone tenait aussi sa foire sous l’égide de Sergilus Docteur, en digne patriarche et amoureux du terroir il en portait les marques du cœur aux vêtements. Digne représentant d’une paysannerie et d’une haïtienne perdant en nombre et gagnant en martyrisation .Il a déclaré de lancer sa Galerie d’Art dans l’enceinte de son école. Il a prêché ce jour-la, sa rage, son combat incessant dans l’être haïtien. C’était juste une foire comme les autres, avec tout l’attirail de la terre perdue qu’est Haïti mais elle avait la chance d’avoir un philosophe et quand il y a un philosophe les choses changent de forme ou de nom, ce n’était pas une foire avec mais une phoire.

Fondation Vincent comme toujours entre le commun de toutes les foires ; les expositions artisanales, les produits du terroir a toujours eu l’avantage de faire de l’insolite. C’est la foire des foires en matière d’inattendus et de l’inhabituel. Une liste particulière d’animaux se retrouve toujours exposée ; un certain rapprochement du cirque et de l’exotisme, cette foire ne manque jamais de causer des embouteillages  sur la Route Nationale # 1. Mais comble de l’ironie aucun travail n’a été fait contre l’insalubrité qui règne au niveau de l’enceinte des Salésiens de Don Bosco, un marécage d’immondices mélangées à la fange ébullitionne toujours dans les grands vieux canaux faits par la compagnie Vorbe et Fils depuis l’ère Préval. Le service de sanitation dans son effort ultime de propreté ou par simple besoin de circulation n’a malheureusement fait qu’enlever la cerise sur le gâteau, le gâteau est resté puant, gluant et outrageant.

Le Campus Henry Christophe de Limonade a retenté son coup cette année, pas si loin, à plus d’une vingtaine de kilomètres de route du Cap-Haitien, avec beaucoup de promesses, une affiche lourde ; recettes nationales, tournées à cheval, Roody Roodboy. Plus grand complexe universitaire du département et membre de l’UEH, les critiques disent que les étudiants n’ont pas su exploiter toute la superficie à leur disponibilité au maximum de sa capacité, entre des acharnés qui spéculent sur la valeur de cartes d’entrée depuis le portail, la gastronomie qui a foiré (trop cuit, trop salé, trop ceci et trop cela, mal présenté, trop cher). La partie artistique semble avoir été meilleure avec la prise en main des étudiants de Beaux-Arts qui ont exercé des séances de photo, du live painting et les étudiants en médecine ont eu la judicieuse idée de faire des dissections pour présenter les remous du corps humain. Et encore une noyade dans le « rabòday » naturel haïtien dès que Roody Roodboy monte sur scène (vers les dix heures du soir). Et toujours après les foires au Campus, la grande question comment rentrer ?

Partout un même idéal au niveau des foires, la surfacturation. Immédiatement tout coûte plus cher, tout est plus petit pour coûter plus, l’impression de voir les organisateurs et vendeurs profiter d’un moment d’engagement citoyen pour bâtir un mercantilisme outrageant. Les foires sont elles en train de devenir une opportunité de casser les poches des acheteurs ? De toute façon l’agriculture ne compte qu’un jour dans toute l’année autant en profiter car l’attente sera longue, pénible et douloureuse. Comment arrive-t-on à différencier les foires du carnaval ? Défilé, char allégoriques, sound truck, à n’en plus finir, des décibels incessants à casser les oreilles et à faire partir en vrille la conversation entre les acheteurs et exposants qui est l’âme même de toute foire. L’échange a toujours été la force suprême de ce type d’activité, quand on se retrouve à ne pas pouvoir converser, tirailler sur le prix ou la qualité d’un produit, se faire flatter, courtiser par les nombreux vendeurs ou encore les entendre crier, chanter leurs différents produits et leurs avantages.

Comment comprendre une activité devant mettre en phase l’agriculture où un ensemble de maillots, de lobbys politiques en profitent pour parler de constitution, de barrage Marion, de fustiger des vives untel, a bas untel. N’aurons-nous donc jamais une pause réelle pour penser autre chose, pour être libre et hors d’un combat de clans de coqs à cravates ?

Comme disait Jean Price Mars « L’haïtien est un peuple qui chante et qui souffre, qui peine et qui rit, un peuple qui rit, qui danse et se résigne… Il chante toujours, il chante sans cesse… ». Nous avons chanté et dansé, nous chantons et dansons, nous chanterons et danserons encore tout en abandonnant la terre à elle-même, les gouverneurs de la rosée cette fois partent pour ne plus revenir. Et sachez qu’aujourd’hui comme au musée où l’on place des vestiges dans les vitrines, dans les foires c’est la production nationale que nous plaçons dans des vitrines car ce sont des vestiges du passé. En Haïti il n’existe plus que le passé, 1804 Adieu ! Agriculture adieu ! Haïti Adieu !

Il convient de féliciter cet effort incessant de tant d’acteurs de la vie nationale, tant d’hommes et de femmes qui ont pensé bien agir et qui ont agi selon ces pensées là. Il faut tenir encore longtemps, plus fort et persévérer, il faut donner à l’agriculture et au travail plus qu’un jour sur l’année, il faut une agriculture de tous les jours. Une conscience collective de tous les jours, toutes ces robes avec tant de couleurs, tant de fleurs, de schémas de l’Alma Mater pourquoi ne pas les porter tous les jours ? Pourquoi en faire un acte au moins mensuel, hebdomadaire jusqu’au quotidien ? Pourquoi ? L’erreur est humaine tout comme la critique est aisée mais persister dans l’erreur et au lieu de faire art faire de l’erreur son art est la plus intolérable des choses.

Une potentialité profonde se cache dans cette ville, cette foire nationale permet de comprendre tout ce qu’il est possible de gagner sur notre capacité de nous organiser, de faire acte et geste d’organiser. Le tourisme peut prend une force considérable dans ce petit bout de littoral mythique, sans oublier de citer les grands absents de cette année ; la foire de l’UNDH qui ordinairement bloque les rues 17 et 18 B et toutes ces écoles congréganistes qui ont fait preuve de mutisme. Cette foire nationale et les foires dérivées des écoles et institutions doivent aussi se parfaire.

Alandy Blaise / The Walking Dead

Alandy Blaise

The Walking Dead

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