
« La musique exprime les sentiments, mais elle serait bien empêchée de les définir, et, sans le commentaire des paroles, absent de la musique instrumentale, l’auditeur reste toujours dans un certain vague quant à la nature et à l’objet du sentiment dont s’est inspiré le musicien »
Pierre Lasserre dans « Philosophie de Goût musical ».
En 2014, Michelle Williams sur « Say yes » de « Journey to freedom » a invité ses anciennes camarades de Destiny’s Child. Cette même année et la suivante, ce morceau est devenu viral en Haïti. Partout, on l’entendait, à un point tel que les communautés protestantes chez nous l’ont traduit en créole « Lè Jezi di WI, pèson paka di NON » . Sur le podium de Digicel Stars, Maalia, l’une des participantes, elle aussi l’a repris. Récemment, soit le 28 mars dernier, la Chorale DEG et Rutshelle Guillaume ont collaboré sur un single « Mèsi ». Que de commentaires sur les réseaux ! Que de plaintes, de critiques, et de remontrances à l’endroit de la Chorale DEG! Certains chrétiens questionnent : »Eske Rutshelle te retounen vin jwenn JEZU? » Et dans un sectarisme chrétien, ils affirment : « Si se pa sa li pa gen dwa chante nan mitan koral DEG. « A chacun ses idées et ses opinions sur la question.

A chacun ses idées et ses opinions sur la question. Point n’est besoin de juger. N’est-ce pas dans la Bible qu’il est écrit que »LEsprit est comme le vent » ? Alors ces paroles d’un chrétien nous laissent perplexes: » Se Sent Espri ki di nou al mande l? « Quand certains temples reprenaient « Say yes » était-ce une action de l’Esprit-Saint? N’étaient-ils pas conscients que certes, c’était du gospel, le genre de prédilection de Michelle Williams, mais avec Beyoncé et Kelly Rowland en collaboration? S’étaient-ils demandés si elles étaient de retour au Christ Jésus ?

La musique du genre « Worship » dont Delly Benson se veut le promoteur serait-elle une affaire d’un petit groupe seulement ? A cela toute personne consciencieuse ne peut que rester perplexe, car quoi qu’il advienne la musique est universelle. Il y a une certaine limite entre ce qui est profane et sacré, mais de là à interdire de mettre son art au service du Créateur, c’est un peu fort. Il faut se refuser cette conception de « Ti peyi ti mantalite « . Et c’est à croire que cette conception biaisée a été élidée de la communauté d’où le père D’Aretha Franklin officiait comme Révérend pasteur. Car cette dernière , malgré ses luttes pour les droits civiques des noirs, sa musique on ne peut plus engagé aussi pour le mouvement féministe, ne s’est pas empêchée de produire un album « Amazing grace » genre gospel et qui a été bien reçu par la communauté protestante.
On peut citer encore un exemple anodin avec Ray Charles qui a donné son impulsion à la Soul musique en mélangeant gospel et R&B. Comme le dit le proverbe « La musique adoucit les mœurs » est-ce peut-être ce qui a donné de l’inspiration à Withney Houston malgré ses problèmes addictifs de laisser au monde un dernier album « I look to you » avec des morceaux de genre gospel dont un titre du même nom. Encore bien accueilli ces exemples ne sont pas loin de nous, juste à quelques kilomètres. Mais chez nous, il y a encore ce petit effort d’acceptation. Quand je revois Maalia se déchirer sur le podium de Digicel avec de la musique profane et puis revenir pour une prestation avec un morceau « chrétien « , là vraiment le bas blesse. À noter qu’elle n’est pas la seule …

Est-il permis aux chrétiens de performer avec des chants profanes et aux profanes, leur est-il interdit de se produire ou de se manifester avec des chants chrétiens ? Bien loin l’idée de défendre que les chanteurs chrétiens doivent se noyer dans un univers pop pour soutenir leur art et en tirer un certain profit, car ce n’est pas évident de vivre que du registre « worship ». Mais il faut pousser plus en profondeur, car ce qui importe, c’est d’oser sortir de sa petite zone de confort et cesser de prendre les autres de haut. Fort est de constater que l’art est dynamique, et rien n’est stable dans ce monde. Tout change. Tout passe.
Il faut éviter de mettre L’ART dans un petit monde, dans une bulle où seulement quelques initiés peuvent y avoir accès. Désormais, il est clair que cette société sombre non seulement dans le sectarisme chrétien et l’ignorance mais aussi dans l’indifférence et la non-tolérance face à tout ce qui sort de leur ordinaire. Tout ce qui n’est pas de leur moule et qui ne veut pas s’y perdre. En plus de tout cela, nous oublions que l’humain est perfectible. Certains sont indignés, oui, ils sont dans leur droit. D’autres comme les fans de Rutshelle se réjouissent que leur star ait mis sa voix dans la louange au Seigneur. Une partie, elle, reste de marbre. Elle est monnaie courante par ici. Tandis qu’une frange chrétienne se fait plus tolérante sur le sujet.
Mais qu’adviendra-t-il de cette société à l’agonie quand plus personne ne pourra se tourner vers le Divin, en tenant la main de son prochain ? Qu’en sera-t-il des âmes perdues quand les chrétiens deviendront opaques et seront éteints ? Ce dont nous avons besoin, c’est de tolérance et de charité. Car savoir accepter l’autre, c’est non seulement un geste humain, mais aussi un acte chrétien qui laisse croire que demain sera amoureusement le grand mystère d’aujourd’hui. Le moment magique de notre charité renouvelée. Alors il n’y a pas trente-six solutions, il faut juste se taire et laisser nos cœurs chanter: « Mèsi, mèsi Jezi pou yon lanmou san mezi. »

Brooz Saintil
Frère raté